Placé sous la direction de Gianandrea Noseda, l'Orchestre national de France joue le Scherzo fantastique composé par Igor Stravinsky entre juin 1907 et mars 1908.
« Qui aura lu ce livre ne sera pas en état de conduire une ruche, mais connaîtra à peu près tout ce qu’on sait de certain, de curieux, de profond et d’intime sur ses habitants. » Voilà comment était présentée en 1901 La Vie des abeilles par son auteur Maurice Maeterlinck, futur Prix Nobel de littérature, et père de la pièce Pelléas et Mélisande qui inspira nombre de compositeurs. C’est après la lecture de cet ouvrage poétique et apicole, admiré notamment par Rilke, que Stravinsky conçut en 1907-1908 un Scherzo fantastique, dont le vrombissement initial est une allusion aux précieux insectes. Il écrira plus tard dans un français remarquable (mais ici légèrement corrigé) : « En été 1907, je lisais beaucoup de livres sur la vie des abeilles et j’étais fort ému par maints détails de la vie de ce monde extraordinaire. Cette vie ininterrompue d’usine (la ruche) à travers des générations, et ce vol nuptial de la reine des abeilles, ce meurtre du mâle, son amant, dans les hauteurs vertigineuses, cette énergie vitale et ce lyrisme féroce m’ont servi comme base, soi-disant littéraire, pour ce poème symphonique, que j’ai intitulé Scherzo fantastique. La partition d’orchestre de cet ouvrage était la dernière que mon maître Nicolas Rimski-Korsakov ait connue de moi. Malheureusement, il ne l’a jamais entendue à l’orchestre, étant mort quelques mois avant l’exécution. »
Informant son maître de l’évolution de la partition, il lui confia : « L’harmonie dans Les Abeilles sera féroce, comme une rage de dents, mais aussitôt, cela devra devenir plaisant, comme de la cocaïne. » Stravinsky gardera plus tard une certaine tendresse pour cette œuvre de (relative) jeunesse : « L’orchestre sonne. La musique est légère, d’une manière qui est rare dans les œuvres de cette époque, et il y a là une ou deux bonnes idées… Et en réécoutant la pièce, je regrette de ne pas avoir exploité davantage la flûte alto. C’est malgré tout un opus 3 prometteur… Je vois à présent que j’ai emprunté quelque chose au Vol du bourdon de Rimski-Korsakov (…), mais le Scherzo doit bien plus à Mendelssohn, par l’intermédiaire de Tchaïkovski, qu’à Rimski-Korsakov. » Étonnante allégation de Stravinsky, tant l’influence orchestrale de son maître est ici manifeste, tout comme celle de Wagner ! Quoi qu’il en soit, la création à Saint-Pétersbourg de cette partition marquera le cours de l’histoire de la musique. En effet, ce soir du 6 février 1909, outre cinq cents roubles de récompense, Stravinsky rencontra Serge de Diaghilev, l’impresario des Ballets russes pour lesquels il écrira L’Oiseau de feu, Pétrouchka et Le Sacre du printemps. Le Scherzo fantastique fut ainsi l’étincelle qui alluma ce gigantesque brasier.
Le 10 janvier 1917, dans le cadre d’une caritative « matinée patriotique pour nos combattants des armées de terre et de mer », un ballet blanc fut présenté à l’Opéra de Paris sous le titre Les Abeilles, avec ce Scherzo fantastique chorégraphié par Léo Staats et dansé par Carlotta Zambelli. Stravinsky résidait alors en Suisse, à Morges (où il écrira l’année suivante son Histoire du soldat), et son autorisation ne fut pas demandée, pas plus que celle de Maeterlinck, installé à Nice dans une villa baptisée… « Les Abeilles » ! Ce dernier réclama des comptes, ce qui exaspéra le compositeur : « Les Abeilles de Maeterlinck m’ont (…) considérablement gêné. Un matin à Morges, j’ai reçu une surprenante lettre de lui, m’accusant d’avoir voulu le tromper et l’escroquer. On avait intitulé mon scherzo Les Abeilles — c’est le droit de n’importe qui de le faire, après tout, et on en avait tiré un ballet qu’on dansait alors à Paris. Je ne l’avais pas autorisé et je ne l’avais pas vu. » Voilà qui est exact, mais qui explique sans doute (avec, en 1917, d’évidentes réticences financières sur les droits d’auteur) sa mauvaise foi lorsqu’il dément l’influence de l’écrivain belge sur sa musique : « Un peu de mauvaise littérature fut imprimée sur la page de garde de ma partition pour satisfaire mon éditeur qui croyait qu’une histoire allait faire vendre la musique. » Le musicien dénoncera avec énergie la « lettre de M. Maeterlinck, et ses déclarations ridicules au sujet de l’argument des Abeilles ».
« Qui aura lu ce livre ne sera pas en état de conduire une ruche, mais connaîtra à peu près tout ce qu’on sait de certain, de curieux, de profond et d’intime sur ses habitants. » Voilà comment était présentée en 1901 La Vie des abeilles par son auteur Maurice Maeterlinck, futur Prix Nobel de littérature, et père de la pièce Pelléas et Mélisande qui inspira nombre de compositeurs. C’est après la lecture de cet ouvrage poétique et apicole, admiré notamment par Rilke, que Stravinsky conçut en 1907-1908 un Scherzo fantastique, dont le vrombissement initial est une allusion aux précieux insectes. Il écrira plus tard dans un français remarquable (mais ici légèrement corrigé) : « En été 1907, je lisais beaucoup de livres sur la vie des abeilles et j’étais fort ému par maints détails de la vie de ce monde extraordinaire. Cette vie ininterrompue d’usine (la ruche) à travers des générations, et ce vol nuptial de la reine des abeilles, ce meurtre du mâle, son amant, dans les hauteurs vertigineuses, cette énergie vitale et ce lyrisme féroce m’ont servi comme base, soi-disant littéraire, pour ce poème symphonique, que j’ai intitulé Scherzo fantastique. La partition d’orchestre de cet ouvrage était la dernière que mon maître Nicolas Rimski-Korsakov ait connue de moi. Malheureusement, il ne l’a jamais entendue à l’orchestre, étant mort quelques mois avant l’exécution. »
Informant son maître de l’évolution de la partition, il lui confia : « L’harmonie dans Les Abeilles sera féroce, comme une rage de dents, mais aussitôt, cela devra devenir plaisant, comme de la cocaïne. » Stravinsky gardera plus tard une certaine tendresse pour cette œuvre de (relative) jeunesse : « L’orchestre sonne. La musique est légère, d’une manière qui est rare dans les œuvres de cette époque, et il y a là une ou deux bonnes idées… Et en réécoutant la pièce, je regrette de ne pas avoir exploité davantage la flûte alto. C’est malgré tout un opus 3 prometteur… Je vois à présent que j’ai emprunté quelque chose au Vol du bourdon de Rimski-Korsakov (…), mais le Scherzo doit bien plus à Mendelssohn, par l’intermédiaire de Tchaïkovski, qu’à Rimski-Korsakov. » Étonnante allégation de Stravinsky, tant l’influence orchestrale de son maître est ici manifeste, tout comme celle de Wagner ! Quoi qu’il en soit, la création à Saint-Pétersbourg de cette partition marquera le cours de l’histoire de la musique. En effet, ce soir du 6 février 1909, outre cinq cents roubles de récompense, Stravinsky rencontra Serge de Diaghilev, l’impresario des Ballets russes pour lesquels il écrira L’Oiseau de feu, Pétrouchka et Le Sacre du printemps. Le Scherzo fantastique fut ainsi l’étincelle qui alluma ce gigantesque brasier.
Le 10 janvier 1917, dans le cadre d’une caritative « matinée patriotique pour nos combattants des armées de terre et de mer », un ballet blanc fut présenté à l’Opéra de Paris sous le titre Les Abeilles, avec ce Scherzo fantastique chorégraphié par Léo Staats et dansé par Carlotta Zambelli. Stravinsky résidait alors en Suisse, à Morges (où il écrira l’année suivante son Histoire du soldat), et son autorisation ne fut pas demandée, pas plus que celle de Maeterlinck, installé à Nice dans une villa baptisée… « Les Abeilles » ! Ce dernier réclama des comptes, ce qui exaspéra le compositeur : « Les Abeilles de Maeterlinck m’ont (…) considérablement gêné. Un matin à Morges, j’ai reçu une surprenante lettre de lui, m’accusant d’avoir voulu le tromper et l’escroquer. On avait intitulé mon scherzo Les Abeilles — c’est le droit de n’importe qui de le faire, après tout, et on en avait tiré un ballet qu’on dansait alors à Paris. Je ne l’avais pas autorisé et je ne l’avais pas vu. » Voilà qui est exact, mais qui explique sans doute (avec, en 1917, d’évidentes réticences financières sur les droits d’auteur) sa mauvaise foi lorsqu’il dément l’influence de l’écrivain belge sur sa musique : « Un peu de mauvaise littérature fut imprimée sur la page de garde de ma partition pour satisfaire mon éditeur qui croyait qu’une histoire allait faire vendre la musique. » Le musicien dénoncera avec énergie la « lettre de M. Maeterlinck, et ses déclarations ridicules au sujet de l’argument des Abeilles ».
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