En 2018, Piero Usberti a capté la beauté des lieux et la parole des jeunes
VTOYAGE À GAZA
ourné en 2018, Voyage à Gaza, du Franco-Italien Piero Usberti, se regarde comme le souvenir d’une ville et d’un tissu urbain qui n’existent plus. Tout ce que le réalisateur a filmé il y a six ans, les restaurants, les appartements où vivaient les jeunes qu’il a rencontrés, a été détruit par les bombardements israéliens, en riposte aux massacres perpétrés par le Hamas, le 7 octobre 2023. Chaque plan de ce film
qui s’attache à capter de la beauté (un champ de fraises à Beit Lahya, le café Al Baqa en bord de mer...) envoie une forte dose de mélancolie. Libre et poétique, ce documentaire, dont la postproduction s’est achevée fin septembre 2023, est déjà en soi un morceau d’histoire. Produit par Arnaud Dommerc (Andolfi), il a été dévoilé au Cinéma du réel, à Paris).
Né en 1992, philosophe de formation, Piero Usberti avait 25 ans lorsqu’il est parti à Gaza, en mars 2018 – il y est resté trois mois au fil de deux séjours consécutifs. Depuis l’adolescence, il avait en tête des images de ce territoire coincé entre l’Egypte et Israël (sous blocus depuis 2007), alors que son père, universitaire, organisait des échanges avec la Palestine. Sur place, le réalisateur a été accueilli par l’Italienne Meri Calvelli, fondatrice du centre italien d’échange culturel à Gaza, qui travaille depuis trente-deux ans avec la coopération internationale.
Fluidité du montage, voix off du cinéaste rythmée par les percussions : le film s’ouvre au milieu des funérailles du photoreporter palestinien Yasser Mourtaja, tué le 6 avril 2018. L’armée israélienne lui a tiré une balle dans l’abdomen alors qu’il portait le badge « Presse » et couvrait la « marche du retour » – une manifestation commémorant la Nakba, soit l’exode de Palestiniens au moment de la création de l’Etat hébreu, en 1948. « Ma voix off ne vise pas à donner un cours d’histoire, mais je pointe des faits : Israël a mené un projet d’occupation puis d’expulsion des Palestiniens, en 1948, explique au Monde Piero Usberti. Il n’y a rien de haineux à dire cela. Je ne suis pas contre l’idée d’un Etat laïque, dans lequel cohabiteraient à égalité de droits Juifs et Palestiniens. Au début du XXe siècle, chrétiens, juifs et musulmans vivaient ensemble en Palestine », rappelle-t-il.
C’est un point de vue engagé que livre le cinéaste (il n’apparaît pas à l’image), tandis qu’il découvre les lieux avec la lumineuse Sara, 25 ans à l’époque – elle officiait alors dans un centre d’entraide pour des femmes. « Je vis à Gaza City », dit-elle, tout en expliquant géographiquement le verrouillage de la « bande » : au sud, la porte de Rafah à la frontière avec l’Egypte, au nord, Erez à la frontière avec Israël. Beauté et souffrance cohabitent à l’image. Vagues indomptables, soleil couchant, et ce commentaire qui donne des frissons : à Gaza, les bateaux de pêcheurs
ne peuvent s’aventurer trop loin, sous peine d’être ciblés par les navires de combat israéliens. Les Gazaouis ont appris à rire du bruit incessant des drones, des coupures d’électricité, etc.
Image extraite du documentaire « Voyage à Gaza ». JHR FILMS
1 sur 2
05/11/2024 13:48
Le Monde
https://journal.lemonde.fr/data/4142/reader/reader.html?t=17308080...
2 sur 2
05/11/2024 13:48
Mais il n’y a pas que le siège d’Israël, soulignent les jeunes, qui dénoncent le poids suffocant des traditions exacerbées par le Hamas. Il y a trois sièges qui pèsent sur Gaza : Israël, le Fatah de Mahmoud Abbas et le Hamas, souligne Mohammed, beau visage anguleux : « Ils assiègent notre liberté », dit-il.
Dans le film, une jeunesse tente de s’évader, au moins mentalement, d’une prison à ciel ouvert. Mohanad, communiste, montre ses livres dont certains sont « interdits ». Jumana, professeure d’anglais et de natation, rêve de devenir journaliste. A la fin, Sara part en Italie pour ses études. Mohanad vit en Belgique depuis 2022. Jumana est restée sept mois dans la bande de Gaza après le 7-Octobre, avant d’aller en Egypte. A présent, tous comptent leurs morts.
Documentaire italien et français de Piero Usberti (1 h 07).
- Clarisse Fabre -
VTOYAGE À GAZA
ourné en 2018, Voyage à Gaza, du Franco-Italien Piero Usberti, se regarde comme le souvenir d’une ville et d’un tissu urbain qui n’existent plus. Tout ce que le réalisateur a filmé il y a six ans, les restaurants, les appartements où vivaient les jeunes qu’il a rencontrés, a été détruit par les bombardements israéliens, en riposte aux massacres perpétrés par le Hamas, le 7 octobre 2023. Chaque plan de ce film
qui s’attache à capter de la beauté (un champ de fraises à Beit Lahya, le café Al Baqa en bord de mer...) envoie une forte dose de mélancolie. Libre et poétique, ce documentaire, dont la postproduction s’est achevée fin septembre 2023, est déjà en soi un morceau d’histoire. Produit par Arnaud Dommerc (Andolfi), il a été dévoilé au Cinéma du réel, à Paris).
Né en 1992, philosophe de formation, Piero Usberti avait 25 ans lorsqu’il est parti à Gaza, en mars 2018 – il y est resté trois mois au fil de deux séjours consécutifs. Depuis l’adolescence, il avait en tête des images de ce territoire coincé entre l’Egypte et Israël (sous blocus depuis 2007), alors que son père, universitaire, organisait des échanges avec la Palestine. Sur place, le réalisateur a été accueilli par l’Italienne Meri Calvelli, fondatrice du centre italien d’échange culturel à Gaza, qui travaille depuis trente-deux ans avec la coopération internationale.
Fluidité du montage, voix off du cinéaste rythmée par les percussions : le film s’ouvre au milieu des funérailles du photoreporter palestinien Yasser Mourtaja, tué le 6 avril 2018. L’armée israélienne lui a tiré une balle dans l’abdomen alors qu’il portait le badge « Presse » et couvrait la « marche du retour » – une manifestation commémorant la Nakba, soit l’exode de Palestiniens au moment de la création de l’Etat hébreu, en 1948. « Ma voix off ne vise pas à donner un cours d’histoire, mais je pointe des faits : Israël a mené un projet d’occupation puis d’expulsion des Palestiniens, en 1948, explique au Monde Piero Usberti. Il n’y a rien de haineux à dire cela. Je ne suis pas contre l’idée d’un Etat laïque, dans lequel cohabiteraient à égalité de droits Juifs et Palestiniens. Au début du XXe siècle, chrétiens, juifs et musulmans vivaient ensemble en Palestine », rappelle-t-il.
C’est un point de vue engagé que livre le cinéaste (il n’apparaît pas à l’image), tandis qu’il découvre les lieux avec la lumineuse Sara, 25 ans à l’époque – elle officiait alors dans un centre d’entraide pour des femmes. « Je vis à Gaza City », dit-elle, tout en expliquant géographiquement le verrouillage de la « bande » : au sud, la porte de Rafah à la frontière avec l’Egypte, au nord, Erez à la frontière avec Israël. Beauté et souffrance cohabitent à l’image. Vagues indomptables, soleil couchant, et ce commentaire qui donne des frissons : à Gaza, les bateaux de pêcheurs
ne peuvent s’aventurer trop loin, sous peine d’être ciblés par les navires de combat israéliens. Les Gazaouis ont appris à rire du bruit incessant des drones, des coupures d’électricité, etc.
Image extraite du documentaire « Voyage à Gaza ». JHR FILMS
1 sur 2
05/11/2024 13:48
Le Monde
https://journal.lemonde.fr/data/4142/reader/reader.html?t=17308080...
2 sur 2
05/11/2024 13:48
Mais il n’y a pas que le siège d’Israël, soulignent les jeunes, qui dénoncent le poids suffocant des traditions exacerbées par le Hamas. Il y a trois sièges qui pèsent sur Gaza : Israël, le Fatah de Mahmoud Abbas et le Hamas, souligne Mohammed, beau visage anguleux : « Ils assiègent notre liberté », dit-il.
Dans le film, une jeunesse tente de s’évader, au moins mentalement, d’une prison à ciel ouvert. Mohanad, communiste, montre ses livres dont certains sont « interdits ». Jumana, professeure d’anglais et de natation, rêve de devenir journaliste. A la fin, Sara part en Italie pour ses études. Mohanad vit en Belgique depuis 2022. Jumana est restée sept mois dans la bande de Gaza après le 7-Octobre, avant d’aller en Egypte. A présent, tous comptent leurs morts.
Documentaire italien et français de Piero Usberti (1 h 07).
- Clarisse Fabre -
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